11 millions d’habitants. Telle est la population de cette mégapole sud-américaine, étendue sur des dizaines kilomètres et dont on peine à identifier le centre. Posée au bord du Pacifique, on pourrait la croire « californienne ». Il n’en est rien. L’océan est de nature hostile, déversant son humeur mauvaise sur des plages gris-cendre. Le ciel, souvent envahi de brume marine, nimbe la ville sous un fin crachin, que l’on nomme ici garúa. L’écrivain péruvien Mario Vargas Llosa a parfaitement décrit cette atmosphère austère, tendance oppressante, dans ses nombreux romans.
Faut-il pour autant éviter Lima ? Eh bien non ! Car cette ambiance sombre et mélancolique finit par imposer son charme, et comme toute grande cité qui se respecte, la capitale cache aussi des lieux intéressants. Ainsi de Barranco. Ce minuscule secteur de ville dévale vers l’océan en cochant toutes les cases du quartier branché. Maisons colorées aux terrasses transformées en cafés et restaurants, murales (street-art), boutiques trendy, galeries d’art… Il flotte dans ce quartier maillé de placettes et de ruelles une atmosphère bohême-chic stimulante. Miraflorés est aussi à voir. Zone touristique et d’affaires par excellence, ce quartier vibre autour du malecón (front de mer) de la Réserva, piéton, animé tard le soir. On y trouve deux centres commerciaux très tendance (Inka Market, Larcomar), un parc verdoyant (Kennedy) et quelques belles quintas (résidences) des années 1930.
Le centre historique est un passage obligé. Autour de la plaza de Armas et du couvent Santo Domingo se mélangent vestiges coloniaux et audaces urbanistiques. La cathédrale, le palais du Gouvernement, l’Archevêché et le monastère San Francisco sont les bâtiments les plus emblématiques. Côté patrimoine artistique, coup de cœur pour le musée Larco. Dans une ancienne hacienda de charme, il abrite 50 000 poteries des époques moche et chimú, deux civilisations pré-Inca du nord du Pérou. Le clou de la collection est constitué par une salle abritant des huacos (figurines) érotiques…
Qui connait les sites de Chan Chan, d’El Brujo, de Sipan, de Tucumé ? Sauf à être un spécialiste des peuples précolombiens, peu de monde ! Ils sont pourtant le socle de l’Histoire du Pérou, dont les Incas se sont largement inspirés.
Pour partir sur leurs traces, remontant à 2 000 ans avant J.-C., il faut filer le long de la côte nord, entre Trujillo et l’Equateur. Dans ce Pérou pauvre, les régions de La Libertad et de Lambayeque concentrent une poignée de sites majeurs, dans un paysage agricole plat et monotone. Du début de notre ère jusqu’à l’avènement des Incas, au XIIIe s., trois civilisations s’y sont succédées ou entremêlées : les Moche, les Lambayeque et les Chimú.
Près de Trujillo se trouvent les Temples du Soleil et de la Lune. Fief des Moche, peuple dominant lors des six premiers siècles, le Temple de la Lune, en briques d’adobe, abrite des décors colorés, symboles de cette civilisation : soldats en armes ; prêtres ; pêcheurs ; dragons ; serpents… L’intérieur de la pyramide, de 24 m de haut, dévoile des tombes et des autels. Au nord de Trujillo, le site d’El Brujo est aussi Moche. Sur Caõ Viejo, l’un des trois temples, apparaissent aussi des motifs humains. Installées dans des vallées tournées vers l’océan, les pré Incas vivaient de pêche et d’agriculture. Dans le port de Huanchaco, on utilise toujours les mêmes bateaux en osier que jadis, les caballitos de totora.
Près de Chiclayo, un site a déchainé les passions : Huaca Rajada. En 1987, on y découvrit la tombe et le cercueil du Seigneur de Sipán, un dignitaire Moche. La sépulture contenant des bijoux et des ornements d’une richesse inouïe a permis d’analyser leurs us et coutumes. La collection est à découvrir au musée des Tombes Royales de Sipán. Le « précolombien », ce sont aussi les Chimú. Cette civilisation serait la dernière au monde à avoir construit des pyramides. On peut voir tertres beiges ravinés par l’érosion à Tucumé. Un dernier site est à visiter : Chan Chan, ancienne capitale des Chimú. Emotion devant ces murailles du désert protégeant une vaste esplanade intérieure. Autant d’habileté dont s’inspirèrent les Incas pour faire briller leur civilisation, la dernière avant l’arrivée des conquistadors.
A 3 400 m d’altitude, l’arrivée à Cuzco est un choc. Les maisons de briques assiègent les versants de la sierra péruvienne, comme s’ils voulaient conquérir les cimes. Le souffle coupé après l’atterrissage est dû aussi au formidable décor de cette ville « rouge » étalée dans la montagne, sous un ciel bleu azur. Ex-capitale de l’Empire Inca, symbole de l’Amérique coloniale, on n’y retrouve guère de traces incas.
Couvents et églises ont remplacé les temples… sauf qu’à bien y regarder, des vestiges sont encore là. Les Espagnols ont en effet construit plusieurs édifices sur le socle de murs incas. Ainsi du Palais de l’Archevêché : il s’appuie sur les gros blocs jointés du Palais royal du 8ème empereur Inca. D’autres bâtisses ont été élevées de la sorte. La forteresse de Sacsayhuamán, elle, domine toujours la cité de ses ruines gigantesques.
L’immense Plaza de Armas n’a plus que la statue de Pachacutec pour rappeler son histoire inca. Autour de cette agora bondée de touristes se dressent deux joyaux de l’architecture espagnole : l’église de la Compañia et la cathédrale. La première, œuvre des Jésuites, voulait concurrencer la seconde. Sa façade Baroque donne le change mais la beauté de la cathédrale est sans égal. Dans un mélange inouï de styles baroque, mauresque et plateresque, plus de 650 œuvres d’art y sont abritées, auxquelles s’ajoutent des décors à la feuille d’or, un autel couvert « d’argent éternel », un Christ et sa couronne en or massif et, joyau des joyaux, un baldaquin pesant 102 kg d’argent.
On plongera aussi avec plaisir dans l’animation de Cuzco, ville populaire et arty. Autour du marché couvert San Pedro surgissent des scènes typiques du Pérou, avec ses vendeuses assises au milieu des légumes, chapeaux de feutre sur la tête. Le quartier San Blas mérite une visite. Le long de ruelles en pente et d’escaliers de pierres, les maisons blanches restaurées abritent des boutiques-hôtels et des cafés. Difficile cependant d’échapper à l’emprise religieuse à Cuzco ! Dans cette cité très mariano (culte de la Vierge Marie), on célèbre tous les saints de la terre. Il est bien rare d’échapper à une fête catholique, célébrée dans une animation joyeuse avec pétards, danseuses et musiciens.
Entre Cuzco et le Machu Picchu, il y a les villages du plateau andin, les montagnes grandioses, la population aux costumes colorés… C’est le charme de la Vallée Sacrée, située entre 2 000 et 3 500 m d’altitude. Et puis vient le célèbre site Inca, merveille d’architecture précolombienne, classée au Patrimoine mondial de l’UNESCO.
La majorité des visiteurs se rend au Machu Picchu en bus, depuis la ville d’Aguas Calientes, par une route en lacets. Pour contourner cette option « moutonnière », ceux qui en ont la ressource ont intérêt d’y arriver à pied. En 4 jours, c’est un trek relativement engagé. En une journée, c’est une randonnée accessible aux marcheurs en forme. L’un et l’autre offrent la récompense d’arriver en surplomb sur le site, au terme d’un effort décuplant le plaisir de la découverte.
Un trajet insolite en train depuis le village d’Ollantaytambo, dans un wagon panoramique et confortable de la compagnie Perurail, jette les voyageurs sur un quai quasi désert, au fond de la vallée verdoyante et humide de l’Urubamba. C’est ici, au lieu-dit Chachabamba, que démarre la dernière étape du Chemin de l’Inca, plus de 6 h de marche à progresser sur un sentier ardu tracé à flancs de versants. Le temps de traverser le río sur une passerelle suspendue et l’ascension débute, ouvrant rapidement des panoramas grandioses sur la vallée. L’itinérance peut être éprouvante, non pas tant par l’altitude et le dénivelé que par le parcours, jalonné d’un nombre incalculable de marches incas, inégales et mal taillées.
Après maintes transpirations, pauses et arrêt pique-nique, un passage au pied d’une cascade mène au site archéologique de Wiñaywayna, première mise en bouche Inca. Il précède l’arrivée aux Portes du Soleil, ultime col du parcours. Temps fort ! Car au devant, en contrebas, les ruines du Machu Picchu dévoilent cette vaste cité posée sur un replat au pied d’un amphithéâtre de montagnes émeraude. Instant de recueillement obligé devant la prouesse architecturale de cette cité-sanctuaire, réalisée au 15ème s. par la civilisation Inca. Une descente facile conduit ensuite au site, que l’on visitera avec un mélange de d’admiration et de nostalgie. Le règne inca y fut brutalement interrompu par l’arrivée des Espagnols. Epidémies et sauve-qui-peut mirent un terme définitif à cette civilisation.