Connaissez-vous Marker Waaden, l’archipel artificiel et naturel des Pays-Bas?

Christiane Goor,
07-06-2022
C’est dans le lac de Markermeer qu’est né ce projet assez incroyable de construction de 7 îles tout à fait artificielles afin d’y créer une réserve naturelle qui réhabiliterait la flore et la faune en voie de disparition sur le site du lac.

Tempêtes violentes suivies de crues dévastatrices, tel était jadis le lot des marins au long cours qui vivaient au bord du Zuiderzee dans la baie du centre-nord des Pays-Bas.

Le port de l’île principale comme un bout du monde © Charles Mahaux

Quand les hommes décident d’assécher le Zuiderzee

Le Markermeer, un lac d’eau douce de 700 km2, a été créé en 1976 avec la construction d’une longue digue de 30 km, la Houtribdijk, qui le sépare dorénavant de l’Ijsselmeer, le plus grand lac des Pays-Bas avec 1100 km2, lui-même séparé de la mer de Wadden par une digue de fermeture, la Afsluitdijk construite en 1933 plus en amont, entre la Frise et la Hollande du Nord.

Naissance du Flevoland

L’objectif de ces deux digues était bien entendu d’offrir une double protection contre les inondations qui ont laissé de pénibles souvenirs dans l’histoire du Pays. L’autre projet était d’assécher une partie des deux lacs pour y créer des polders et donc des terres nouvelles à cultiver et à urbaniser. Le Flevoland est ainsi devenu la 12ème et plus jeune province des Pays-Bas créée en 1986 par la réunion de plusieurs polders sur la zone orientale de l’ancienne mer du Sud.

Arrivée en ferry au départ de Batavia © Charles Mahaux

Mais rapidement on a découvert par une vue aérienne que si l’Ijsselmeer alimenté par les eaux de la rivière Ijssel, un défluent du Rhin, avait conservé ses eaux claires et bleues, il n’en était plus de même pour le Markermeer qui ressemble vu du ciel à une nappe d’eaux troubles. En effet depuis la construction du barrage et des digues portuaires, le lac n’a pratiquement plus de berges naturelles et de surcroît il n’est plus relié ni à la mer ni à une rivière. Il était en passe de devenir un vaste marais…

Une catastrophe imminente

Les digues accumulent les alluvions et empêchent la circulation des limons qui se déposent dans le fond du lac au point d’étouffer la vie du sol. L’absence de berges naturelles et de bas-fonds signifie qu’il y a moins de poissons, de plantes aquatiques et de crustacés et provoque une pénurie alimentaire pour une série d’oiseaux. La population du canard de table, du canard à crête et du plongeur à lunettes a diminué de plus de 75% au début des années 2000.

Les avocettes nichent à même le sol © Charles Mahaux

Le projet audacieux de l’entreprise Natuurmonumenten

L’idée d’un renouveau écologique pour le Markermeer apparaît clairement dès 2007 et est entre les mains des pouvoirs politiques qui multiplient les études et les montages financiers. En 2011 Roel Posthoorn, responsable de la société hollandaise Natuurmonumenten, prend le taureau par les cornes et envisage de construire un archipel au large de la côte orientale, à quelques kilomètres à peine de la digue barrage. Un ami, André Rijsdorp qui travaille au Ministère des Infrastructures et de l’Eau l’accompagne dans ce challenge. Le plan de départ se précise, la loterie nationale s’empare du sujet, le second gouvernement Rutte, plus ouvert à l’écologie, décide de soutenir à son tour le projet. La somme de 75 millions d’euros est réunie, il était temps de commencer le travail !

Statue de Antony Gormley © Charles Mahaux

Création d’un archipel de 7 îlots artificiels

L’enjeu est devenu national, les Pays-Bas se sont lancés dans le plus grande opération de restauration de la nature en Europe.

Ce vaste archipel naturel intégralement né de la main de l’homme qui compte déjà 5 îles sur 7 devrait couvrir un total de 10000 hectares dès la fin 2023.

Plants de roseaux pour fixer le sable dans les dunes © Charles Mahaux

Un chantier d’envergure, une première mondiale

Les travaux ont commencé en 2016 grâce au pompage quasi permanent, jour et nuit, d’une drague, un bateau qui aspire les sédiments présents au fond de l’eau. 30 millions de m3 de boue ont ainsi été extraits du fond du lac sur quatre sites de dragage distants de 5 à 8 km de l’île principale. Ce mélange de limon, d’argile, de tourbe et de sable pompé vers l’extérieur jaillissait comme une énorme fontaine grise et boueuse qui a servi à créer les îlots. Couche par couche, ceux-ci ont été façonnés avec des digues de boue édifiées sur des compartiments à remplir pour dessiner des bassins, eux-mêmes saturés de boue par la suite. Un système d’évacuation des eaux installé dans les digues ont permis d’assécher peu à peu ces bassins au point de les transformer en îlots qui conservent toutefois des plans d’eau.

Observatoire discret sans déranger les oiseaux © Charles Mahaux

Les vasières restent cependant un milieu naturel dynamique dans lequel un équilibre doit être trouvé entre l’érosion, les dépôts, les courants et le vent. Marken Wadden n’a pas encore atteint cet équilibre. Par exemple les tempêtes printanières ont emporté bon nombre de nouvelles plages, reconstruites depuis. Mais ces phénomènes naturels qui soulèvent des vagues puissantes, d’autant plus qu’elles naissent dans un lac, montrent aussi le rôle majeur des éléments et comment ils façonneront l’archipel à long terme. Pour fixer ce sol mouvant des milliers de roseaux ont été plantés, année après année, et le résultat est visible aujourd’hui.

La vie est là !

Avec la construction de Marker Wadden, non seulement les hommes ont construit des îles et des rives végétalisées mais ils ont également rétabli l’équilibre naturel sous l’eau. Le fond du lac reprend vie, les bancs de moules récupèrent et filtrent les boues les plus fines de l’eau. La chaîne alimentaire des algues et du plancton, des petits animaux aquatiques, des poissons et des oiseaux a pu se renouer. Le lac retrouve sa vitalité.

Plages naturellement artificielles © Charles Mahaux

Dès 2016 les premiers insectes se sont glissés dans les interstices formés par la boue craquelée par le soleil et des oiseaux attirés par la tranquillité des lieux ont choisi d’y nicher à même le sol comme les avocettes et les petits gravelots. Les années suivantes, sternes, cormorans, mouettes, bécassines des marais, spatules et autres canards de montagne, canards couronnés, oies bernaches, cygnes ont choisi de s’y poser lors de la migration, comme aire d’hivernage ou de repos, ou certains pour s’y installer. Les endives des marais fleurissent partout et les roselières commencent à dessiner des haies, toutes idéales pour y nicher. D’autant que hormis le busard qui chasse les petits oiseaux et les jeunes nés, il n’y a aucun animal prédateur sur les îles. Par ailleurs les insectes sont abondants et la vie marine est extrêmement variée. Il semblerait que quelque 200 espèces d’oiseaux aient retrouvé le chemin de ce nouveau monde.

Les poissons encore présents dans le lac y trouvent des frayères et cette nouvelle nurserie dans les bords et les rifts des îles naturelles est prometteuse pour les stocks de poissons du Markenmeer. Certains comme l’éperlan, le gardon, la tanche, l’épinoche et d’autres encore sont aussi une source de nourriture importante pour les oiseaux piscivores.

Campement sur la Haveneiland, le port de l’Île © Charles Mahaux

Les écotouristes sont attendus sur l’île du port ou Haveneiland

Un port avait bien sûr été créé pour y amener journellement les hommes qui avaient en charge l’aménagement du Marken Wadden mais aussi les scientifiques venus d’universités néerlandaises mais également internationales pour se pencher sur le miracle de cette renaissance.

En 2019, les contours de 5 îles sont clairement dessinés, parsemées de mares, de criques, de fossés mais aussi de plages, de dunes et de plaines. Seule l’île principale est accessible aux visiteurs et pour les aider à circuler, un chemin a été dessiné, parfois sur terre, parfois sur des passerelles avec le passage de petits ponts, tous en bois.

Le plan des 7 îles des Marker Wadden © Charles Mahaux

Un village entièrement passif

On y a installé un petit campement pour y recevoir des visiteurs d’un jour ou plus comme par exemple les ornithologues. Le port permet d’accueillir des voiliers et autres bateaux de plaisance qui toutefois ne trouveront ici aucune alimentation en eau ni en électricité. Le village lui-même est connecté avec des panneaux solaires posés sur les toits des bâtiments, tous en bois : un pavillon d’accueil, un laboratoire, une salle de services, un dortoir, six maisonnettes et un hangar. Les eaux de déchets sont purifiées sur place et servent aux douches et toilettes. L’eau potable est amenée depuis le port de Batavia, sur le continent. Le pavillon tenu par des bénévoles accueille les visiteurs d’un jour avec des boissons et quelques sandwiches ou autres pâtisseries.

Il semblerait que certains touristes soient à l’origine de l’apparition de plantes inattendues comme de rares tulipes au printemps mais surtout de grenouilles qui ont trouvé leur bonheur dans les marais où elles croassent à qui mieux mieux. Pourtant ce comportement est à déconseiller absolument. Contentons-nous d’observer cette nature depuis les sentiers et les observatoires créés à l’intention des écotouristes sans interférer dans la renaissance de cette vie sauvage !

Recommandations

Pour y aller, il faut emprunter un ferry au départ de Bataviastad joignable en bus en 20 minutes depuis Lelystad, chef-lieu de la province du Flevoland. Il faut acheter son billet aller-retour à l’avance sur le site www.natuurmonumenten.nl/natuurgebieden/marker-wadden.

Un très beau documentaire à découvrir sur Arte :  « Les îles de la dernière chance ».