Saturée d’une multitude de maisons basses en pierre ocre, Malte surprend par la densité de son tissu urbain. C’est si vrai que l’on s’y perd rapidement car encastrés les uns dans les autres, bourgs et faubourgs s’enchaînent, s’additionnent, se soudent jusqu’à former une immense cité de pierre hérissée de clochers et de dômes majestueux qui égaient la monotonie d’un habitat trop compact.
Avec trois sites classés à l’UNESCO et plus de monuments au km2 que tout autre pays, l’archipel offre une concentration de trésors patrimoniaux qui enracinent Malte dans son histoire. On y trouve ainsi les temples mégalithiques de Ggantija qui remontent bien avant les pyramides.
Verrou stratégique en Méditerranée, l’archipel est tombé sous la férule successive des Phéniciens, des Grecs, des Carthaginois, des Romains, des Byzantins jusqu’à ce que les Arabes y installèrent leur capitale sur un éperon rocheux à Mdina. Aujourd’hui, on l’appelle la ville du silence. Ses demeures se barricadent derrières de hauts murs et les fenêtres protégées par des grilles ventrues ajoutent au mystère. Les colonnes de la cathédrale Saint Paul rendent un éternel hommage à une cohorte de pierres tombales frappées des armoiries des grandes familles de Malte qui semblent hanter les venelles de la cité endormie.
C’est en 1530 que Charles Quint offrit l’archipel à l’Ordre chassé de Rhodes où il s’était replié après avoir fui la Terre Sainte. Durant deux siècles, les chevaliers vont imprimer leur empreinte sur l’île qui perdurera même lorsqu’elle passera sous domination britannique. Il y a, dit-on, autant d’églises sur l’archipel que de jours dans une année. C’est l’Ordre qui va assurer la cohésion du pays et aujourd’hui, l’Eglise conserve encore toute son influence auprès de la population.
La cathédrale Saint-Jean avec sa profusion de peintures, de tapisseries et de sculptures raconte mieux que les autres monuments la foi qui habitait les chevaliers de la vieille aristocratie.
Ce joyau baroque est encore un lieu de rendez-vous des Maltais. Il suffit d’y pénétrer durant la Semaine Sainte pour plonger dans une ambiance presque monacale. Le pavement des pierres tombales sous lesquelles gisent les chevaliers mène à une chapelle tendue de drap de velours rouge symbolisant le sang versé par le Christ. Autour du tabernacle en or massif, on se recueille en silence.
Le jeudi Saint est le jour des sept visites dans sept églises différentes au pied des autels de repos qui invitent à la prière. Les familles déambulent dans les rues d’un porche à l’autre sans oublier de visiter les singuliers chemins de croix miniatures que certains reconstituent dans le hall d’entrée de leur maison. Dans la soirée, ils sont des centaines à s’ébranler dans une procession plus bavarde sur un chemin de Croix éclairé de lanternes qui mène vers un immense calvaire illuminé.
Le vendredi Saint est un jour de deuil consacré aux reconstitutions historiques qui retracent la passion du Christ. La plus importante, avec près d’un millier de figurants, est à Zebbug : des tableaux vivants recréent les scènes de la Bible dans une procession rythmée par les ensembles musicaux qui scandent avec gravité la longue marche des pénitents qui portent les lourdes stations du calvaire.
Quel contraste avec le dimanche de Pâques qui réunit les familles endimanchées sur les places ! Les enfants jouent volontiers à cache-cache au milieu de cette foule compacte d’habitués, à croire que tout le village se donne rendez-vous sur la place proche de l’église. Ce sont des fêtes de réjouissances qui célèbrent la Résurrection dans un immense apéritif et qui se prolongent par un repas familial.
A La Valette, quand vient l’heure de dîner, la vie semble se poser, se mettre en congé jusque plus tard dans l’après-midi. Les commerces ferment leurs portes, les étals de marchés se replient, les rues se vident. Il y fait si calme qu’on peut entendre le clapotis des vagues monter du port.
Depuis les jardins d’Upper Baracca qui surplombent la ville, le regard embrasse les bastions de Cospicua, Vittoriosa et Senglea qui hérissent l’autre côté de la baie. La rade est animée des silhouettes de voiliers élégants, de yachts luxueux, de paquebots de croisière mais aussi de chaloupes maltaises bigarrées.
La grande bleue s’avère d’un accès difficile : les hautes falaises crayeuses sont battues par les vagues et les petites criques semblent bien discrètes. Il faut aller vers le nord, à Marsaxlokk, un petit port niché au creux d’une baie, pour participer à la vie de pêcheurs qui ravaudent leurs filets sur les quais tout en bavardant dans une langue dont les sonorités évoquent l’arabe mais avec un rythme chantant à l’italienne. Des centaines de chaloupes multicolores dansent sur la mer, les fameux luzzus, toujours décorés sur la coque d’un œil, celui d’Osiris qui protègerait les embarcations du mauvais sort.
Selon la légende, c’est ici que Ulysse fut retenu dans une grotte par la nymphe Calypso, au pied d’une plage de sable rose aux reflets dorés. Les champs en terrasses cernés de murets de pierre sèche dévalent vers le littoral bordé de falaises et de criques rocheuses. Un jour radieux à Gozo trouve son épilogue dans un coucher de soleil toujours féerique qui vire à l’orange avant de basculer écarlate derrière l’horizon. Tout le paysage minéral de la baie se pare de violet puis d’un bleu profond qui se noie dans le miroir strié de la Méditerranée.