L’île de Guernesey, un bout d’Angleterre tombé en France

Christiane Goor,
09-01-2023
Le but de la promenade : une île anglo-normande, un petit morceau d’Angleterre perdu entre Normandie et Grande-Bretagne. On y parle anglais et on y roule à gauche. Une destination idéale pour un court séjour avec au programme des promenades revigorantes le long des sentiers de falaise et flâneries dans les paysages bucoliques de l’intérieur des terres, des journées paresseuses sur de belles plages de sable doré et plongeon dans la vie animée de la petite capitale portuaire de Saint Peter Port. Suivez-moi !

Etonnant archipel

Victor Hugo disait des îles Anglo-Normandes que c’étaient des morceaux de France tombés à la mer et ramassés par l’Angleterre

Le tour de l’île à vélo

Guernesey, tout comme sa voisine plus connue Jersey, fait partie de la Grande-Bretagne mais pas du Royaume-Uni. Toutes deux possèdent leur propre gouvernement autonome, frappent leur propre monnaie en parité avec la livre anglaise qui est acceptée partout mais la défense et la politique étrangère sont du ressort de Westminster. Charles III, héritier du dernier duc de Normandie, en est donc le souverain mais non le roi. Une situation particulière qui leur a conféré un statut de paradis fiscal et on ne s’étonne pas que ce soient les secteurs financiers qui représentent la part la plus importante de l’économie des îles.

Castle Cornet, un avant poste © Yuriy Chertok

Les stigmates de la 2e guerre

C’est en bateau que l’on aborde Saint Peter Port, la capitale de Guernesey, après avoir longé les fortifications massives de Castle Cornet qui compte 8 siècles d’existence. Durant la dernière guerre, les Allemands en bétonnèrent certaines parties pour intégrer le château au dispositif de défense du mur de l’Atlantique. On peut visiter les tunnels construits par les forçats pendant l’occupation allemande pour servir de refuge, d’hôpital de guerre et de stockage de munitions et de carburant.

Saint Peter Port, arrivée en bateau © Charles Mahaux

Castle Cornet était au départ une ancienne forteresse qui défendait le port de Guernesey contre les attaques des Français, isolée sur un îlot rocheux jusqu’à la construction d’une digue et d’un pont au 19ème siècle. Aujourd’hui elle abrite plusieurs musées répartis dans les différents bâtiments de la caserne mais elle attire surtout pour la balade dans les 4 jardins d’époque qui contribuent à animer les vieux murs et surtout pour le tir à canon réalisé à midi par des soldats vêtus comme au 19ème siècle.

Les jardins enserrés dans les cours intérieures du Castle Cornet © @ Charles Mahaux

Charme de sa capitale

Saint Peter Port, cette petite ville portuaire dont les venelles piétonnes et fleuries regorgent de surprises architecturales avec des maisons de style géorgien hautes et étroites garnies de fenêtres à guillotine, idéales pour se protéger des bourrasques de vent. Ces façades un peu ostentatoires abritent bien sûr plusieurs banques mais dès que l’on emprunte les escaliers raides ou les ruelles tortueuses à l’assaut de la colline, on longe sous le couvert des arbres d’anciennes maisons de l’ère édouardienne.

Vue sur le port de Saint Peter Port © allard1 - stock.adobe.com

C’est alors qu’on atteint Hauteville House où Victor Hugo vécut en exil durant une quinzaine d’années, de 1855 à 1870. La proclamation de la Troisième République après la défaite de Napoléon III à Sedan permet le retour en France de l’auteur et de sa famille. Mais il reviendra régulièrement sur cette île qui l’inspira tant. Guernesey n’a d’ailleurs jamais oublié le grand homme qui lui a dédicacé son livre Les Travailleurs de la Mer écrit en totalité à Hauteville : « Je dédie ce livre à la roche de l’hospitalité et de la liberté, à ce coin de vieille terre normande où habite le noble petit peuple de la mer, sur l’île de Guernesey, austère et douce, mon asile présente, mon tombeau probable ».

Vue sur la mer et le port depuis la Crystal Room à Hauteville © Visit Guernsey

Hauteville House, un bout de terre français en pays anglais

Restaurée en 2019, la maison permet de découvrir des espaces chargés de la mémoire d’une vie littéraire. Victor Hugo s’y est découvert des talents d’architecte et de décorateur dans ce qui fut la seule demeure lui ayant appartenu, il s’est fait plaisir en y créant une ambiance foisonnante, ne fut-ce que par les nombreux bibelots et objets de brocante qui ornent encore les lieux. Mais c’est dans la Crystal Room appelée encore Belvédère que l’auteur a choisi d’établir son cabinet de travail où il consacrait ses matinées à l’écriture, peu importe s’il y faisait glacial en hiver ou torride en été. La vue imprenable sur la mer était inspirante au point de dire « Un mois de travail ici vaut un an à Paris ».

Victor Hugo, regard rivé sur l’horizon où il puisera l’inspiration © Charles Mahaux

Depuis l’an 2015, soit 150 ans après la publication du livre, l’île a choisi de créer tous les deux ans un festival Victor Hugo en hommage à l’auteur, l’occasion de rappeler entre autres que l’écrivain y avait instauré la tradition hebdomadaire du repas des enfants indigents. « Ceci n’est pas de l’aumône, c’est de la fraternité (…) elle ébauche la solidarité ». Victor Hugo avait aussi un jardin arboré où il créa des parterres de fleurs qu’il ne souffrait pas voir couper. Véritable visionnaire, il a planté en 1870, quelques jours avant la déclaration de guerre de la France à la Prusse, un gland de chêne qui serait un jour, disait-il, « le chêne des Etats-Unis d’Europe », à admirer aujourd’hui au fond du jardin… Le plus curieux est que la maison léguée en 1927 à la Ville de Paris par les descendants de l’écrivain est devenue un bout de terre français en pays anglais.

Vue sur Fermain Bay

Paysages contrastés et découvertes insolites

Avec ses 62 km2 de superficie, l’île se laisse découvrir aisément au fil de ses facettes.

A moins de 5 km de Saint Peter Port, on peut s’offrir une randonnée le long des côtes escarpées qui plongent à pic dans la mer jusqu’au promontoire de Jerbourg qui offre un panorama unique sur des criques aux plages préservées. Par beau temps, la vue s’étend jusqu’aux côtes du Cotentin.

Vue depuis le promontoire de Jerbourg au sud de l’île © Charles Mahaux

La plus petite chapelle du monde

On peut aussi quitter le littoral pour St-Andrew, la seule paroisse qui ne soit pas en bord de mer où un religieux a construit Little Chapel, la plus petite église catholique du monde, une réplique miniature de la basilique de Lourdes. Résolument kitch mais originale avec son revêtement de galets de porcelaines de couleur et sa décoration à base d’objets aussi incongrus que des débris de vaisselle en céramique ou en verre ou encore des têtes de statues d’angelots, elle témoigne surtout de la ferveur d’un homme, le frère Deodat, qui dut s’y reprendre à trois fois pour terminer son œuvre.

Little Chapel la plus petite église du monde
L’intérieur décoré de coquillages et céramiques © Charles Mahaux

Vestiges de sites mégalithiques

Bordée de falaises sur la côte sud, l’île s’abaisse peu à peu à mesure qu’on se rapproche de la côte nord et les paysages cèdent la place aux prairies et bois vallonnés qui échouent finalement sur un littoral sableux et échancré de baies bien abritées, idéales pour des séjours en famille au bord de l’eau. On y trouve aussi des vestiges de sites mégalithiques témoins d’une culture ancestrale.

La Gran’mère de Chimquière – Eglise St-Martin © Charles Mahaux

Mais nul besoin d’aller si loin car la petite paroisse de St-Martin installée au sud-est de l’île abrite une étrange stèle en granit anthropomorphe, juste devant la grille qui permet de pénétrer dans le cimetière qui cerne l’église. Ce menhir d’1,60m de haut daté d’environ 4 millénaires avant notre ère aurait été retouché à l’âge de bronze vers 700 avant J.-C. lui donnant une silhouette un rien plus féminine pour évoquer nous dit-on la déesse de la fertilité. En 1860, les paroissiens se sont d’ailleurs organisés pour qu’elle ne soit pas détruite par les clergymen qui y voyaient des preuves d’idolâtrie. C’est pourquoi elle se trouve aujourd’hui hors de l’enceinte de l’église même si elle semble bien en être la gardienne des lieux. Souvenir de rites païens, celle qu’on appelle la Gran’mère de Chimquière est toujours célébrée par les jeunes mariés qui lui offrent fleurs et piécettes pour s’en attirer les faveurs.

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